Mélange
Répétons-le une fois encore, on aime bien les mélanges dans notre compagnie. C'est même devenu, au fil du temps, une sorte de marque de fabrique, tant nous y puisons de richesses et y confortons notre identité : mélange du théâtre, de la musique et de la danse (La ronde ou Des pithécanthropes), mélange des compagnies et des artistes de toutes disciplines (Monsieur de Pourceaugnac ou Les derniers jours de l'humanité). Aujourd'hui, c'est vers l'Algérie que nous nous tournons pour imaginer une autre sorte de mélange, celui d'artistes issus des deux rives de la Méditerranée. C'est la rencontre avec un texte et un auteur, La nuit du doute et Arezki Metref, qui a déclenché cette histoire. Un texte vif argent, acéré comme une lame, plein d'un humour caustique, une quête de la vérité dans l'atmosphère poisseuse d'un polar mâtiné de Beckett, et à ce jour jamais monté. Un auteur à la langue magnifique, un poète, journaliste engagé et auteur dramatique (mais il publie aussi de la poésie et des chroniques politiques). C'est aussi la rencontre avec un metteur en scène Ahmed Khoudi, que nous a présenté le directeur de la scène nationale de Cergy-Pontoise, qui a rendu possible cette production. C'est enfin le soutien actif de Ziani Chérif Ayad, directeur du Théâtre National Algérien (le TNA), qui a donné à ce projet toute sa dimension.
Un voyage à Alger nous a rassemblés et confortés dans l'idée qu'une collaboration artistique, bien plus qu'une simple "coproduction", pouvait prendre tout son sens en Algérie et à La Courneuve. Délibérément donc, nous mélangerons neuf comédiens algériens et français. Mais nous ne nous arrêterons pas là. Nous avons demandé à Arezki Metref d'écrire un nouveau texte, un post-scriptum à ajouter à la pièce, permettant de mélanger davantage encore la distribution et, peut-être, d'éclairer d'un jour nouveau la dramaturgie de l'œuvre initiale. C'est désormais chose faite. Un dernier mot : d'Algérie, des artistes, acteurs et metteur en scène, vont venir chez nous. Notre compagnie tout entière va se rendre en Algérie. Nous sommes convenus, les uns comme les autres, qu'il s'agirait de résidences, soit un certain nombre d'actes posés ensemble : jouer la pièce, organiser des rencontres, des ateliers, des débats, des lectures croisées, etc. Une aventure, quoi.
Dominique Brodin
directeur de la compagnie
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Appel à la lumière
En 1997, des massacres innommables ont endeuillé l'Algérie. Des tueurs y ont réalisé des "performances" en matière de barbarie. Tout cela s'est passé la nuit, dans l'épaisseur des ténèbres qui empêchent de distinguer le bourreau de sa victime.
En réaction à ce drame dans le drame, j'ai écrit La nuit du doute, une façon de conjurer le destin et de supplier les miens de tout tenter pour voir clair en eux et autour d'eux. Et voilà que ce texte trouve une résonance à La Courneuve où, avec Dominique Brodin, la troupe du Centre dramatique en fait une passerelle algéro-française, en collaboration avec la scène nationale de Cergy-Pontoise dont le directeur, Jean-Joël Le Chapelain, œuvre à la réussite de cette initiative. Et aussi, et surtout, la pièce va être jouée en Algérie, entre autres au TNA d'Alger, grâce à Ziani-Cherif Ayad qui a été associé très tôt à ce projet.
Depuis la parution de la pièce, tout a changé et je ne saurais dire si c'est en bien ou pas. Entre l'idéalisme de Platon et le réalisme d'Aristote, j'hésite sur les lunettes à chausser. Je sais seulement que le drame perdure et, pour autant, la vie ne cesse de produire son humour et sa corrosion.
Chez nous, en Algérie, nous n'avons pas de tradition théâtrale parce que, sans doute, nous n'en avons jamais eu besoin. La vie nous suffit. Elle est toujours une comédie et une tragédie, dans laquelle les acteurs ne se prennent pas trop au sérieux.
Je voudrais que ce texte, porté par des comédiens qui le sentent dans leur chair, et par Ahmed Khoudi qui va les diriger, résonne aux oreilles du monde moins comme un cri de désespoir que comme un appel à la lumière, à la jeunesse, à la beauté, toutes choses qui symbolisent l'Algérie réelle prise en otage par les fossoyeurs et les carnassiers.
Arezki Metref
le 6 août 2003