SPLA : Portail de la diversité culturelle
Moz'Art

phèdre

  • phèdre
Genre : Théâtre
Rubrique : Théâtre

-avec
Aurélie Dalmat Phèdre
Aliou Cissé Thésée
Mike Fédée Hippolyte
Yna Boulangé Aricie
Esther Myrtil OEnone
Paulette Kneur Panope
Jean-Claude Prat-Rousseau Théramène
Natacha Mircovich Ismène
-collaboration artistique Alfred Fantone, François Raffenaud, Pascal Sautelet -régie généra le et lumières Dominique Guesdon -décor Olivier Roset assisté de Martine Belloc -
création des objets Bruno Sentier -costumes Claire Belloc, Sylviane Gody avec la collaboration d'Esther Bajoc et Gabrielle Talbot -coiffes et coi ffures Véronique Pam -musique Alfred Fantone.

Mettre en scène Racine
J'ai toujours été fasciné par les tragédies de Racine, ce qui curieusement allait de pair a v ec une telle appréhension que j'étais incapable d'envisager concrètement de les met t r e en scène. Pourtant, depuis la fin des années 80, dans le cadre de mon activité pédagogique, je n'ai cessé de faire travailler des comédiens sur ce matériau. À travers cette forme si élaborée, ample et profonde, je voyais la possibilité de faire valoir la plus haute exigence et de mener les acteurs au zénith de leur expression.
Je me souviens très bien que lors du premier atelier que j'ai animé en Martinique, j'avais été frappé par les qualités des comédiens antillais concernant la diction des vers, ce qui n'est pas toujours le cas ici sur le continent.
En effet, il est de bon ton aujourd'hui de traiter la langue avec une certaine désinvolture… Tel parti pris de modernité n'excusera jamais qu'on s'autorise à ne pas prononcer t o u t es les syllabes d'un vers alexandrin. D'où vient alors qu'un comédien antillais fait si l'on peut dire "naturellement" – en vérité culturellement – ce qu'il faut? Sans doute, bien sûr, du rapport qu'il entretient avec la langue, non pas du "colonisateur" comme disait Genet, mais avec la langue du maître qui, en la lui transmettant, lui en a du même coup inculqué le respect. Or, cet aspect de maîtrise est bien au coeur de la langue de Racine et je ne serais pas loin de penser que les artistes antillais se trouvent dans une position assez favorable pour s'y confronter.
L'an passé, à la suite d'une session de travail, qui du fait de l'engagement passionné d es participants s'était prolongée, j'ai pu enfin surmonter mon inhibition et décider de monter Andromaque. Heureuse occurrence: dans le même temps, je reçus l'invitation d'Aurélie Dalmat, une ancienne élève devenue une grande figure du théâtre martiniquais, pour venir à Fort-de-France la mettre en scène dans Phèdre.
Dans les deux cas, la prosodie racinienne, l'exercice physique mais aussi bien spirituel qu'elle réclame, m'a semblé produire des effets comparables : un engagement, une confiance, un sentiment partagé qui, à mes yeux, n'est pas sans rapport avec la religion : de religere, relier, réunir… Une chance, un bonheur, une grâce sans égale pour qui accepte de s'y abandonner ! En général, les acteurs y sont prêts et François Raffenaud, mon collaborateur artistique, si précieux pour ses capacités techniques et sa sensibilité à l'alexandrin, n'eut pas tant de peine à les y entraîner.
Ceci posé, la tragédie n'est pas seulement une liturgie. Racine a prêté la plus grande attention à la narration et au dia-logue dramatiques. C'est, selon moi, dans la tension qui s'instaure entre ces deux aspects, le poème et la fable, que réside le secret de la représentation.
Une remarque s'ensuit : ces pièces sont toutes écrites avec les mêmes moyens, le vocabulaire et la versification sont similaires, et pourtant chacune d'elles nous présente un monde différent. Ainsi Andromaque, tragédie où la passion amoureuse est au premier plan, met en jeu par ailleurs des relations politiques complexes qui pourraient encore aujourd'hui avoir cours. Quant à Phèdre, elle n'échappe bien sûr pas au syndrome passionnel, mais en s'attachant au fond mythologique de la fable – le Minotaure, Pasiphaé, le Labyrinthe, Ariane, les Amazones, Neptune et le Monstre Marin, Thésée revenant des Enfers – Racine nous entraîne dans un imaginaire à la fois fantastique et archaïque.
Il n'y a bien sûr rien à réserver. Tout le répertoire français doit pouvoir être joué par l es acteurs antillais, qu'ils soient blancs, métis, ou noirs. Cependant, il m'a semblé qu'en l'occurrence le mélange complexe d'influences et de caractères – africains, caribéens, indiens –, spécifique des Antilles, en coupant avec toute référence à l'Antique, offrait un champ particulièrement propice à l'étrangeté de Phèdre.
Il me semble enfin qu'en situant l'action dans cet ailleurs improbable, quoique évidemment teinté d'exotisme, nous l'avons débarrassée des conventions ; elle y trouve une nouvelle vitalité qui, curieusement, ne nuit en rien à ses aspects d'universalité et d'éternité.
Aux Antilles la plupart des spectacles de théâtre ne sont joués que trois ou quatre fois, ce qui à la longue, dans une pratique d'acteurs, s'avère bien sûr sclérosa n t. Aurélie Dalmat et moi-même tenions absolument à ce que Phèdre échappe à cette fatalité. Pour d es raisons qui, là encore, tiennent à l'histoire, l'histoire des Antilles, notre histoire avec les Antilles, conséquemment aux relations entre l 'Administration centrale et les Dom-Tom (et réciproquement), il a fallu passer outre les préjugés, les résistances et les doutes des uns et des autres, par dessus tout ne rien rabattre de notre exigence et de notre ambition.
Démontrer enfin qu'une telle opération risquée et coûteuse était possible et nécessaire.
Au même titre que les représentations de La Noce chez les Petits- Bourgeois de Brech t en créole par la Compagnie du Pélican Jaune (Guadeloupe), en mai dernier, celles de Phèdre par le Tam Théâtre, à la Tempête, feront date dans les relations théâtrales entre les Antilles et la France métropolitaine.
Philippe Adrien

Partenaires

  • Arterial network
  • Iverca